DE L'AUTRE CÔTÉ DU NIL Qu'elles soitent nées sur les rives de l'Afrique du Nord, à Alger, Alexandrie ou Tunis, ou bien qu'elles proviennent des rives européennes (Cognac) ou nord-américaines (Québec), les artistes présentées ont en commun cette même fascination pour une terre d'histoire riche en civilisations, en arts, en couleurs et en humanités. Ainsi, Mehel qui est née sur l'eau, entre deux rives, s'intéresse particulièrement à la matière issue de la terre. Même si elle travaille également la peinture, les oeuvres présentées dans l'exposition sont toutes des céramiques. Choississant de faire des surfaces dont les contours refusent farouchement une délimitations précise, Mehel compose des assiettes qui portent les traces du passage du temps et de la présence de l'artiste. De sa main, elle nous invite à ressentir ce que la matière peut dire aux sens et à l'intellect pourvu que l'artiste inspiré lui imprime la forme de ses aspirations.
Originaire du Maroc, Raja El Ouadili ne présente qu'une seule oeuvre, mais c'est une oeuvre significative, car fruit d'un parcours personnel qui commence avec une photo et se conclut par un magnifique nu: La cage dorée. Dans cette peinture, Raja qui a commencé très jeune à faire du dessin, ose se dévoiler et nous parler de la femme marocaine qui s'affirme dans sa féminité et une sexualité aux couleurs chaudes. Tout en audace et en retenu, pudique et osée en même temps, cette peinture est le reflet d'une tension intérieure dont l'écho résonne dans les rues d'une patrie que l'artiste regarde désormais avec la distance d'un océan. Un autoportrait qui appartient à une démarche personnelle où la création artisitque représente le moyen de sortir de soi et de découvrir par la peinture des pans du moi intérieur qui resteraient muets sans la médiations du pinceau.Travaillant dans un style fait de grands aplats de couleur vive, Soreya Mekbel aime les contrastes forts et clairement délimités. Cette jeune artiste au talent en devenir, tend vers les formes abstraites, mais conserve un goût pour le figuratif comme avec son oeuvre Robe noire. Dessinant les courbes noires d'une silhouette sur un fond rouge strié d'éclats jaunes, Soreya ouvre les portes de sa mémoire pour nous faire découvrir l'image de sa mère. Proche dans le style, mais très différente dans le ton, sa seconde toilefait basculer les sens dans une chute vertigineuse où la fureur de l'entrechoquement des couleurs n'égale que l'ardeur des flammes et des volutes rougeoyantes d'ocres et de cendres.
Bien qu'elle ne soit pas née en Afrique, les peintures de Sandrine Calmets sont tout entières dédiées au continent et à l'humanité des corps. D'abord avec les silhouettes graciles de chats égyptiens dont les cous s'étirent pour entreprendre une improbable étreinte serpentant sur les rytmes de leur ronronnement. Puis, dans son diptyque Corps de femme et Corps d'homme, Sandrine expose toute la fraîcheur imparfaite de la matière à l'oeuvre. Deux corps en processus de création, dont les formes incertaines apparaissent discrètement pour permettre de différencier le masculin du féminin, mais laisse surtout poindre l'extrême fragilité d'une sensibilité à fleur de peau. Avec Touché Sandrine honore la féminité tout en refusant la séduction facile de la pose élégante. Elle préfère une représentation où les proportions refusent la norme et les courbures accentuent à l'excès les lignes. Enfin, dansSolitude, le corps mis à nu est à la fois très beau et immensément fragile. Ce corps qui se recroqueville jusqu'à ne plus former qu'un amas de matière, perd l'élégance du nu, mais retrouve toute la beauté sincère de l'humainité à la fragilité effleurée.
Valsant avec l'allégresse du figuratif à l'abstrait Nylda Aktouf s'amuse avec un plaisir clairement jubilatoire à brouiller les pistes. Celles qui commence dans les grottes improbables de ses peintures rupestres où la furie des scènes de chasse imprègne la toile de l'horizon sanglant qui s'annonce, nous conduisent ensuite vers sa terre natale d'Algérie. Dans Alger la bleue, le bleu se fait ciel ou mer, sans que cela ait d'importance, car l'entrecroisement des lignes de couleurs chaudes qui accaparent l'espace de la toile pourrait représenter tout autant la frénésie d'une ville exubérante comme le reflet d'une ville calme dont la quiétude n'est troublée que par la tourmente des vagues de la Méditerranée. On retrouve ce même bleu sur d'autres rives. Dans Soleil d'automne à Rimouski, Nylda s'amuse à masquer le soleil derrière une immense forêt de nuages et d'éclats luminieux qui scientillent de touts leurs feux dans une explosion abstraite au-dessus d'une paisible cabane de pêcheur. Rarement, l'abstait et le figuratif ont fait si bon ménage. Magdoline Youssef qui a grandi à Alexandrie est revenue sur les lieux de son enfance pour construire un parcours visuel où elle revisite les traces laissées par sa mémoire. Photographe de profession Magdoline cherche à saisir l'atmosphère de ces lieux porteurs de sacré afin que nous puissions ressentir également ces mêmes émotions qui l'ont traversé enfant. Son choix du grand format nous transporte à l'endroit même de cette mémoire enfouie, au moment de la prise de la photo. En contemplant ces images, nous nous retrouvons juste devant la Porte fermée et le Clocher du monastère Saint- Antoine, et prenant un chemin à la dérobée nous découvrons le pont qui permettait aux moines de prendre la fuite en cas d'urgence. Puis nous poursuivons notre route vers le monastère de Saint-Simon le tanneur, bâti à même la roche et dont une partie seulement se laisse voir dans le très grand formatSculpté dans la montagne. Le chemin se termine dans les rues étroites des vieux quartiers du Caire, où l'église suspendue ses laisse découvrir avec sa Lanterne dominant tout l'avant-plan de cette imposante photo. Faisant aussi un travail de mémoire sur l'Égypte, Marlene-Luce Tremblay, photographe de profession, s'intéresse à l'Égypte éternelle dont la mémoire parsème le cours du Nil. Mais plutôt que de recourir aux simples photos, Marlene-Luce a développé une technique personnelle qui combine la photographie d'art et la peinture. Les pintographies qu'elle réalise sont des photos en noir et blanc qui sont transférées sur la toile pour être ensuite recouvertes d'acrylique de différentes couleurs. Ainsi, le rouge domine dans la toile Le fuschia à Damas alors que c'est un voile d'ocre qui recouvre Les papyrus du temple. Dans les deux cas, les fières colonnes des temples incarnant cette civilisation millénaire sont immortalisées par une technique moderne dont les couleurs renvoient au temps de la photographie sépia. Figures incontournables, les Dieux et les pharaons sont présents avec les tableauxVoie vers l'éternité qui présente la déesse Isis et Ramsès II et le temple d'Amon où Marlene-Lucee combine deux espaces pour mieux exprimer le lien indissociable entre les pouvoirs terrestre et divin. Une démarche "d'archéologie artistique" qui vise avant tout à rapprocher les cultures. Venant de la Tunisie, Neila Ben Ayed aime travailler avec la matière même si ses oeuvres sont essentiellement faites sur toile. Diplômée en arts et en ergonomie, Neila poursuit conjointement des études en aménagement à l'Unversité de Montréal et un parcours artistique de peintre. Son oeuvre Destinée dévoilée. À la découverte du savoir(8) qui est reproduit sur l'affiche de l'exposition est emblématique de sa série d'oeuvres avec sa gamme de couleurs oscillant entre le rouge et l'ocre et ce travail si particulier avec les textures. Reflétant l'âpreté et les aspérités de nos sociétés, les toiles de de Neila refusent les surfaces lisses et uniformes comme dans Randonnées célestes où les épaisseurs de matière sont hachées et raclées pour imposer une dimension supplémentaire à la toile. La fleur qui est au centre de cette randonnée est une figure récurrente que l'on retrouve, seule et courbée dans La révérence, ou en couple et rayonnante dans La saison des idées. En effet, pour Neila, la fleur est une métaphore du corps, comme lui, elle apparaît et disparaît, elle naît, vit et meurt. Présentée dans tous ses états, la fleur-corps partage son espace avec un astre solaire au couleurs aveuglantes et à la chaleur étouffante qui fait pleurer la toile de larmes délavées où se mêlent couleurs et matières. Changeant totalement de registre, Complicité est un moment de joie ludique qui associe peinture et cartes à jouer dans une rencontre improbable mais intrigante qui force la rencontre des univers dans une belle harmonie sereine.